CHAPITRE UN
ARJUNA-VI?ADA-YOGA
LES LAMENTATIONS D'ARJUNA
La Gita s'ouvre sur une description saisissante de la scène du champ de bataille de Kuruk?etra. Les guerriers prépondérants des deux camps sont nommés. Le son des conques et le battement des tambours marquent le début de cette terrible guerre. C'est là que toute l'attention se tourne vers Arjuna et K???a. Désireux d'évaluer les rangs ennemis, Arjuna demande à K???a de l'emmener au milieu du champ de bataille afin qu'il puisse voir de plus près ceux qu'il s'apprête à combattre.
Dans l'armée adverse, il voit des parents, des amis et des aînés révérés. Voir ceux qui lui étaient jadis si chers fait perdre à Arjuna sa détermination. Il ne parvient plus à voir l'intérêt de s'engager dans une bataille qui détruira inévitablement sa famille. Confus quant à son devoir et submergé de compassion pour ses ennemis, il commence à déverser ce qu'il a sur le cour à K???a. Il est certain, soutient-il, que cette guerre ne s'appuie pas sur la droiture. Il fait plusieurs fois remarquer que tuer un membre de sa propre famille pour le bien d'un royaume ne peut produire que de fâcheuses conséquences pour le futur. Le chapitre se conclut avec Arjuna qui jette son arc en signe de désespoir, après qu'il ait exprimé tous ses arguments.
VERSET 1 : LA REQUÊTE DE DH?TARA??RA
dhr?ara??ra uvaca
dharma-k?etre kuru-k?etre samaveta yuyutsava? |
mamaka? pa??avascaiva kim akurvata sañjaya || 1 ||
Dhr?ara??ra dit :
Ô Sañjaya, après s'être rassemblés sur le champ sacré du Kuruk?etra, déterminés à livrer bataille, qu'ont fait mes fils et les Pa??avas ? (1)
« Ce verset commence par le mot "dharmak?etra". "Dharma" signifie droiture, "k?etra" signifie le champ - il s'agit donc du champ de la droiture. »
« L'une des significations de cette guerre est la vie, où le "bon" côté affronte le côté "pas bon". Cette guerre n'est pas extérieure, elle a lieu aussi à l'intérieur du corps humain. Votre corps physique est le dharmak?etra. Vous vous êtes incarnés pour accomplir votre dharma (devoir) sur ce terrain. »
« La vie en elle-même est aussi un dharmak?etra. Vous êtes venus accomplir un dessein divin. Quand vous êtes en accord avec votre véritable Soi, vous réalisez quelle est la vraie raison de votre vie. et c'est ce que vient vous rappeller le mot "dharmak?etra" Faites votre dharma ! Réveillez-vous ! Ce dharma peut être accompli au moyen du plus grand des cadeaux que Dieu vous ait fait : ce terrain, ce corps. Et lorsque vous commencez à faire votre dharma, vous obtenez du bon mérite ! Mais quand vous fuyez votre dharma, alors vous vous tournez du côté obscur. »[1]
« Ce roi aveugle, Dh?tara??ra, représente le mental - le mental qui est aveugle et qui entend toujours le rester. Le mental s'accroche tellement à l'extérieur qu'il n'a de pouvoir que lorsqu'il se focalise sur quelque chose d'extérieur : sur le matériel, sur les relations, sur le gain de ceci ou de cela. Telle est la nature du mental. Le mental est aveugle. »
« Les deux familles étaient issues de la dynastie Kuru. Mais le roi refusa de reconnaître les Pa??avas. Le mental ne reconnaît pas les bonnes qualités qui sont présentes en soi. Le mental ne peut que regarder du côté des sens, toujours regarder le côté extérieur. Le soi, et les qualités positives qui y sont présentes, lui échappent. »[2]
VERSETS 2-13 : PRESENTATION DES GUERRIERS
sañjaya uvaca
dr??va tu pa??avanika? vyu?ha? duryodhanas tada |
acaryam upasa?gamya raja vacanam abravit || 2 ||
Sañjaya dit :
Ô roi ! Duryodhana, voyant l'armée des Pa??avas en formation militaire, s'approcha de son maître, Dro?a, et dit ces mots : (2)
pasyaitam pa??u-putra?am acarya mahati? camum |
vyu?ha? drupada-putre?a tava si?ye?a dhimata || 3 ||
Duryodhana dit :
Ô Maître, contemple cette puissante armée des Pa??avas, dirigée par le fils de Drupada, qui est ton intelligent disciple. (3)
atra sura mahe?vasa bhimarjuna sama yudhi |
yuyudhano vira?asca drupadasca maharatha? || 4 ||
Dans cette armée se trouvent des héros et de grands archers comme Bhima et Arjuna ; sont là de puissants guerriers tels que Yuyudhana, Vira?a et Drupada. (4)
dhr??aketus-cekitana? kasi-rajasca viryavan |
purujit-kunti-bhojasca saibyasca nara-pu?gava? || 5 ||
Il y a là Dh???aketu, Cekitana, et le vaillant roi de Kasi, Purujit, Kuntibhoja, et Saibya, qui sont tous les meilleurs des hommes. (5)
yudhamanyusca vikranta uttamaujasca viryavan |
saubhadro draupadeyasca sarva eva maharatha? || 6 ||
Il y a là le vaillant Yudhamanyu et le puissant Uttamaujas. Il y a aussi le fils de Subhadra, ainsi que les fils de Draupadi. Ce sont tous de puissants guerriers de chars. (6)
asmaka? tu visi??a ye tan-nibodha dvijottama |
nayaka? mama sainyasya sa?jñartha? tan bravimi te || 7 ||
Ô meilleur des brahmanas, permettez-moi à présent de vous familiariser avec nos principaux guerriers qui sont les commandants de mon armée. Je les nommerai pour rafraîchir votre mémoire. (7)
bhavan bhi?masca kar?asca k?pasca samitiñjaya? |
asvatthama vikar?asca saumadattis tathaiva ca || 8 ||
Il y a toi-même, Bhi?ma et Kar?a, le victorieux K?pa, Asvatthama, Vikar?a et Jayadratha, le fils de Somadatta. (8)
anye ca bahava? sura madarthe tyakta-jivita? |
nana-sastra prahara?a? sarve yuddha-visarada? || 9 ||
Et on y trouve encore bon nombre d'autres héros déterminés à donner leur vie pour moi. Tous sont experts en armes et ont de l'expérience dans l'art de la guerre. (9)
aparyapta? tad asmaka? bala? bhi?mabhirak?itam |
paryapta? tvidam ete?a? bala? bhimabhirak?itam || 10 ||
Cette force armée qui est la nôtre, convoquée par Bhi?ma, est incommensurable, tandis que leur force, contrôlée par Bhima, est limitée. (10)
ayane?u ca sarve?u yatha-bhagam avasthita? |
bhi?mam evabhirak?antu bhavanta? sarva eva hi || 11 ||
Vous devriez donc tous vous efforcer d'assurer la garde de Bhi?ma, tout en restant stationnés à vos positions respectives dans l'armée. (11)
tasya sañjanayan har?a? kuru-v?ddha? pitamaha? |
si?hanada? vinadyoccai? sa?kha? dadhmau pratapavan || 12 ||
Sañjaya dit :
Ensuite, le vaillant aïeul Bhi?ma, le plus ancien du clan des Kurus, rugissant comme un lion, a soufflé dans sa conque pour encourager Duryodhana. (12)
tata? sa?khasca bheryasca pa?avanaka-gomukha? |
sahasaivabhyahanyanta sa sabdas-tumulo'bhavat || 13 ||
Tout à coup, les conques et les tambours, les trompettes, tambourins et cornes, ont éclaté en réponse et leur son était terrifiant. (13)
« Duryodhana représente ce grand orgueil qui naît du mental. Quand le mental est très actif, on s'enorgueillit de beaucoup de choses : de notre connaissance, de ce que l'on possède. »
« L'armée des Pa??avas était répartie dans une formation très particulière. Voyant cette formation bien rangée, Duryodhana s'était senti nerveux et anxieux intérieurement. L'anxiété apparaît quand on est orgueilleux. Même si l'orgueil semble fort en apparence, en réalité, il contient beaucoup de faiblesse. Pourquoi l'orgueil apparaît-il ? Pensez-vous qu'il naisse de la force ? Non ! En réalité, l'orgueil apparaît à cause d'une faiblesse intérieure. Même si quelqu'un dit : "Ah oui, je suis très fier de ceci et je suis très fier de cela", on peut sentir que cette fierté est une faiblesse en réalité. Quand l'orgueil surgit, les gens pensent : "Oui, je suis très confiant !" Non. C'est le mental qui perçoit l'orgueil comme de la confiance en soi. En réalité, la personne fuit quelque chose, se trouvant à l'opposé de l'orgueil, qui est l'humilité. Lorsque l'on fuit l'humilité, on ne fait que paraître très grand et confiant. »
« Quand vous débutez un chemin spirituel, votre orgueil voit toutes vos bonnes qualités, mais ensuite le mental se fait anxieux. L'orgueil essaye de vous raisonner, tente de vous détourner de façon trompeuse. C'est pourquoi Duryodhana accourt vers Dro?acarya, le grand maître des Kauravas et des Pa??avas. »
« Dro?acarya représente l'attachement au matériel. Il représente l'avidité chez l'homme. Dro?acarya avait aussi de bonnes qualités. C'était un grand maître des sciences militaires. Parfois il conseillait même Bhi?ma. C'était le guru royal. Mais quand l'orgueil de Duryodhana vit l'avidité chez Dro?acarya, il se dit quant à lui : "Allons nourrir cette avidité. Allons le corrompre." »[3]
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