PREMIÈRE PARTIE
Table des matières On peut concevoir aisément quelle épreuve c'est pour moi d'écrire ma propre histoire, ainsi que je le vais faire; mais je ne dois pas reculer devant la tâche. Cette parole: «Secretum meum mihi» retentit sans cesse à mon oreille; mais à mesure que l'homme approche de sa fin, il craint moins les révélations. Ce n'est pas le côté le moins pénible de mon épreuve de prévoir que mes amis pourront à la première lecture de ce que j'ai écrit, considérer comme étrangères à mon dessein beaucoup des choses qui s'y trouvent; je ne puis cependant m'empêcher de penser que l'examen de l'ensemble produira l'effet que je souhaite.
On m'apprit dès mon enfance à trouver une jouissance extrême dans la lecture de la Bible; mais je n'eus pas d'opinions religieuses bien précises jusqu'à l'âge de quinze ans. Il va sans dire que je possédais parfaitement mon catéchisme.
Lorsque j'eus grandi, je mis sur le papier ce que je me rappelais des pensées et des sentiments de mon enfance et de ma première jeunesse, sur les sujets religieux. Parmi ces souvenirs, j'en choisis deux, ceux qui me paraissent être les mieux définis et qui ont quelques rapports avec mes convictions ultérieures.
Dans la note à laquelle je me suis reporté, écrite, soit pendant les longues vacances de 1820, soit en octobre 1823, les remarques suivantes sur mon temps de collége étaient suffisamment présentes à ma mémoire pour qu'il me soit permis de les considérer comme dignes d'être rapportées: - «Il m'arrivait de souhaiter que les contes arabes fussent vrais: mon imagination s'attachait avidement aux influences inconnues, aux pouvoirs magiques, aux talismans.... Je pensais que la vie pouvait être un rêve, que je pouvais être un ange, et tout en ce monde une déception, les anges mes frères se déguisant à mes yeux par une sorte de jeu et d'artifice et m'abusant par les apparences d'un monde matériel.»
Puis, «lisant au printemps de 1816 un passage des Reliques du temps (Remnants of Time) (du Dr Watt) ayant pour titre: les saints inconnus au monde, et où il est dit que rien dans leur personne ou leur visage, ne peut les faire distinguer, etc., etc., je supposai qu'il parlait d'anges vivant dans le monde, pour ainsi dire déguisés.»
Voici l'autre remarque: «j'étais très-superstitieux, et pendant quelque temps antérieurement à ma conversion » (quand j'atteignis quinze ans), «j'avais l'habitude constante de me signer lorsque j'allais dans l'obscurité.»
Évidemment cette habitude avait dû me venir d'une source extérieure quelconque; mais d'où m'était-elle venue? je ne puis faire à ce sujet aucune conjecture; bien certainement personne ne m'avait entretenu de la religion catholique que je Connaissais de nom seulement. Le professeur de français était un prêtre émigré, mais il était uniquement un objet de raillerie comme l'étaient trop souvent à cette époque les maîtres français, et il parlait l'anglais très-imparfaitement. Il y avait dans le village une famille catholique, de vieilles demoiselles à ce que nous supposions, mais je ne savais rien d'elles que leur nom. J'ai entendu dire dans ces dernières années qu'il y avait dans l'école un ou deux enfants catholiques; mais, ou ce fait nous fut soigneusement caché, ou nous étant connu il ne produisit aucune impression sur nos esprits. Mon frère pourra dire à quel point l'école était étrangère à toute idée catholique.
J'avais été une fois à la chapelle de la rue de Warwick avec mon père qui voulait, je crois, entendre quelque morceau de musique; tout ce que j'en rapportai fut le souvenir d'une chaire, d'un prédicateur et d'un enfant balançant un encensoir.
Étant à Littlemore, et parcourant de vieux cahiers de mon temps de collége, je trouvai dans le nombre mon premier cahier de vers latins; à la première page était un dessin qui faillit me suffoquer de surprise. J'ai en ce moment le cahier sous les yeux et je viens de le montrer à d'autres personnes: j'avais écrit sur la première page, de mon écriture d'écolier «John Henry Newman, 11 février 1811, Verse Book (cahier de vers);» puis viennent mes premiers vers. Entre Verse et Book j'avais dessiné l'image d'une croix massive debout, et, à côté, ce qu'on pourrait, il est vrai, prendre pour un collier, mais ce que je ne puis imaginer être autre chose qu'un chapelet suspendu, avec une petite croix à l'extrémité. A cette époque je n'avais pas encore dix ans. J'avais puisé cette idée, je suppose, dans quelque roman, de Mistress Radcliffe ou de Miss Porter, ou dans quelque peinture religieuse; mais ce qu'il y a d'étrange, c'est que, parmi les mille objets qui frappent les yeux d'un enfant, ceux-là se fussent gravés dans mon esprit d'une façon si particulière que je me les fusse ainsi appropriés. Je suis certain que ni dans les églises que je fréquentais, ni dans les livres de prières que je lisais, il ne se trouvait rien qui pût m'en suggérer l'idée. Il faut se rappeler que les églises et les livres de prières n'étaient pas décorés alors comme je crois qu'ils le sont aujourd'hui.
Quand je fus âgé de quatorze ans, je lus les traités de Paine contre l'Ancien Testament et je trouvai du plaisir à songer aux objections qu'ils contenaient. Je lus aussi quelques-uns des essais de Hume, peut-être l'essai sur les miracles. C'est là du moins ce que je donnai à entendre à mon père; mais peut-être était-ce une vanterie. Je me souviens d'avoir également copié quelques vers français, de Voltaire sans doute, contre l'immortalité de l'âme, en me disant quelque chose comme ceci: «Que c'est effrayant, mais que c'est plausible!»
Lorsque j'eus quinze ans (dans l'automne de 1816), il s'opéra un grand changement dans mes pensées. Je tombai sous l'empire d'un symbole défini, et le dogme grava dans mon esprit des impressions qui, par la grâce de Dieu, ne se sont jamais effacées ni obscurcies. Mais plus encore que les conversations et les sermons de l'homme excellent, mort depuis longues années, qui fut humainement l'instrument de cet avènement de la foi divine en moi, je ressentis l'effet des livres qu'il me mit entre les mains et qui tous étaient de l'école de Calvin. L'un des premiers livres que je lus fut un ouvrage de Romaine. Je ne m'en rappelle ni le titre, ni le contenu, à l'exception d'une doctrine que, bien entendu, je ne range pas parmi celles que je crois venues de source divine, la doctrine sur la persévérance finale. Je l'accueillis sans hésiter, et je crus que la conversion intérieure dont j'avais conscience (et dont maintenant encore je suis plus certain que je ne le suis d'avoir des pieds et des mains) continuerait dans l'autre vie, et que j'étais prédestiné à la gloire éternelle. Je ne sache pas que cette persuasion tendît en aucune façon à ralentir en moi le soin de plaire à Dieu. Je la conservai jusqu'à l'âge de vingt et un ans; elle s'évanouit alors graduellement; mais je crois qu'elle eut quelque influence sur mes opinions, dans le sens de ces rêves d'enfant dont j'ai déjà parlé : en m'isolant des objets qui m'entouraient, en confirmant en moi une sorte de méfiance quant à la réalité des phénomènes matériels, et en me faisant reposer dans la pensée de deux êtres, seuls doués, à mes yeux, d'une existence personnelle, et certaine comme la lumière: moi-même et mon Créateur. Tandis que je me considérais comme prédestiné au salut, les autres hommes me semblaient non prédestinés à la mort éternelle, mais simplement laissés de côté, et je ne songeais qu'à la miséricorde dont j'étais l'objet.
La détestable doctrine que je viens de mentionner est absolument niée et désavouée, si ma mémoire ne m'abuse pas étrangement, par l'écrivain qui fit, plus que tout autre, impression sur mon esprit, et auquel (humainement parlant) je suis presque redevable de mon âme, - Thomas Scott d'Aston Sandford. Ses écrits éveillaient en moi tant d'admiration et de plaisir quand j'étais étudiant, que je songeai à me rendre à son presbytère afin de voir un homme pour lequel j'avais une vénération si profonde. J'ai peine à croire que j'eusse abandonné l'idée de cette expédition, même après avoir pris mes grades; car, en 1821, la nouvelle de sa mort tomba sur moi comme un désappointement aussi bien qu'un chagrin. Je demeurai suspendu aux lèvres de Daniel Wilson, plus tard évêque de Calcutta, quand il raconta en deux sermons prêchés à la chapelle de Saint-John, l'histoire de la vie et de la mort de Scott. Dès mon enfance j'avais eu ses essais en ma possession. J'achetai son commentaire quand je fus étudiant.
Quiconque lira l'histoire et les écrits de Scott sera frappé, je crois, de son courageux dédain des jugements du monde et de la vigoureuse indépendance de son esprit. Il suivit la vérité partout où elle le conduisit, commençant par l'Unitarisme et finissant par une foi ardente à la sainte Trinité. Ce fut lui qui, le premier, grava profondément dans mon esprit cette vérité fondamentale de la religion. A l'aide des essais de Scott et de l'ouvrage admirable de Jones de Nayland, je réunis une collection de textes de l'Écriture à l'appui de cette doctrine, avec des remarques de moi (si je ne me trompe); je n'avais pas encore seize ans, et peu de mois après je rédigeai une série de textes à l'appui de chaque article du symbole de saint Athanase. Je possède encore ces notes.
Outre son dédain pour l'opinion...