DEUXIÈME JOURNÉE.
Table des matières CHATEAU DE VERSAILLES.
ce les eux eau XIII
AVANT d'aborder la description du château de nos Rois, il convient de ramener le voyageur à l'entrée de la place d'armes, où il l'avait en perspective en arrivant, perspective qu'il a dû quitter à regret, pour parcourir avec nous les divers quartiers de la ville.
S'il fallait en croire l'auteur du nouveau Dictionnaire des environs de Paris, «l'étranger
» demeure stupéfait à l'aspect du magnifique
» coup-d'oil que présentent à ses regards étonnés
» et les palais et les superbes édifices élevés
» sur la place d'armes.»
S'il faut nous en croire nous-mêmes, dont l'opinion énoncée dans notre premier aperçu de Versailles ( route de Paris à Bordeaux, p. 113 ), se trouve conforme à celle de presque tous nos prédécesseurs, les palais et les édifices sont précisément ce qui manque à cette place; et, sous ce rapport, elle doit être considérée comme non encore achevée: on n'y voit d'autre palais, en arrivant, que celui de Louis XIII; et il frappe l'étranger d'un étonnement tout contraire à la stupéfaction que lui prête cet auteur.
Le seul nom de Versailles, disons-nous ailleurs ( p. 96. ), annonce, avec une des plus belles villes de France, le plus beau palais de l'Europe, et le premier abord répond à toute l'idée qu'on s'en est faite; mais à mesure qu'on approche du château et qu'on le distingue mieux, on éprouve un étonnement progressif de ne voir qu'un édifice ordinaire, construit en brique, et bien inférieur à sa renommée.
L'auteur du Dictionnaire des environs de Paris a grand tort sans doute de s'enthousiasmer à l'aspect du magnifique coup-d'oil que présentent à ses regards étonnés des palais et de superbes édifices qui n'existent point; mais nous n'avons pas tout-à-fait eu raison nous-mêmes de ne voir, en face de la grande avenue, qu'un seul palais et qu'un édifice ordinaire, quoique nous ayons bien modifié l'opinion des auteurs derrière lesquels nous placions la nôtre, en ajoutant que, néanmoins, les regards ne parcourent pas sans intérêt ce monument du règne de Louis XIII, plus extraordinaire qu'il n'est imposant.
Il est bien vrai que cet ancien château, consistant en une très-courte façade principale ( de 7 croisées, dont trois au pavillon qui en occupe le milieu), et deux longues ailes en retour, le tout en brique, dans le style du 16e siècle, n'offre d'abord qu'un édifice assez ordinaire. Mais les deux bâtimens d'un goût plus moderne, en pierre de taille, qui terminent ces deux ailes, et sont terminés eux-mêmes par deux portiques d'ordre corinthien , peuvent être considérés comme deux édifices à part, vu qu'ils n'ont aucun rapport avec celui auquel ils ont été ajoutés; ce qui détruit en même tems toute harmonie, défaut d'autant plus sensible, qu'on regarde naturellement les trois édifices comme n'en faisant qu'un, puisqu'ils composent un même château.
On doit regarder encore plus comme deux édifices séparés les deux longs bâtimens détachés qui bordent, de chaque côté , l'espèce d'avant-cour qu'on a nommée cour des ministres, parce qu'ils servaient aux bureaux des divers ministères, bâtimens nommés eux-mêmes, par la même raison, ailes des ministres. Ils ne présentent aucun style, aucun ornement d'architecture, et ne sont que vastes, si bien qu'on les prendrait plutôt pour des casernes que pour les ailes d'une maison royale.
Voilà les divers édifices qu'a pu contempler, en arrivant sur la place d'armes, l'auteur dont nous venons de parler, et c'est la plus grande critique à faire de cette façade, que d'y voir plusieurs palais en un seul.
Il faut convenir toutefois que cet ensemble, malgré ses disparates, n'est pas aujourd'hui sans effet, et cet effet est celui d'une perspective théâtrale. Le maréchal de Bassompière pourrait bien n'y plus reconnaître son chétif château de Versailles, expression que je trouve citée partout, et qui me paraît peu digne de tant d'honneur. Des combles en plomb, couronnés de sculptures délicates; des balcons richement travaillés et fraîchement redorés, des balustrades, des vases et des trophées; des bustes, des statues et des groupes exécutés par les artistes de Louis XIV; enfin, huit jolies colonnes doriques en marbre rouge, un grand balcon en marbre blanc, une élégante cour pavée en carreaux de ces deux sortes de marbres, comme un vestibule, tout cela joint aux nouvelles constructions, les unes belles, les autres grandes, qui en sont les appendices, me semble ne pouvoir appartenir à un simple particulier, et décéler la demeure d'un souverain.
Les bustes, presque tous en marbre blanc, et tous antiques ou imités de l'antique, qui garnissent, au nombre de 80, les entre-deux des fenêtres, sont posés sur autant de consoles en pierre de taille, dont la couleur grise tranche agréablement avec le rouge foncé de la brique. Les statues et groupes entremêlés de vases et de trophées qui couronnent d'une manière avantageuse les balustrades du comble, sont, en commençant par la droite:
La Richesse, par Marsy;
La Justice, par Coysevox;
Pallas, par Girardon;
La Prudence, par Massou;
La Diligence, par Raon, tenant une branche de thym, sur laquelle le bon Piganiol a cru voir une abeille symbolique, qu'il nous a été impossible de découvrir, soit qu'elle ait disparu, ou qu'elle n'y ait jamais été , ou qu'un aussi petit individu ne soit pas visible à cette distance;
La Paix, par Regnaudin;
L'Europe, par Legros, et l'Asie, par Massou, en un seul groupe;
Dans l'encoignure, une Renommée, par Lecomte, et à l'encoignure opposée, une Victoire, par L'Espingola;
De l'autre côté, l'Afrique, par Lehongre, et l'Amérique, par Regnaudin, en un seul groupe, faisant le pendant de celui de l'Europe et de l'Asie qui est en face;
La Gloire, par Regnaudin;
L'Autorité , par Lehongre;
La Richesse, par le même, correspondant à celle que nous avons vue sur la balustrade opposée;
La Générosité , par Legros;
La Force, par Coysevox;
L'Abondance, par Marsy.
Toutes ces allégories ne sont pas également claires, et sans Piganiol, le seul auteur qui en parle, nous en eussions laissé la plus grande partie au bout de la plume.
Les deux statues à demi-couchées qui couronnent, en forme de fronton, le milieu de la façade principale, sont à la fois et les plus caractérisées de toutes, et les mieux exécutées. A droite, c'est le dieu Mars, par Marsy; à gauche, c'est une figure allégorique de Louis XIV, sous la forme d'Hercule, qui se repose après avoir triomphé de tous ses ennemis, par Girardon: l'horloge qu'elles paraissent soutenir n'est destinée qu'à marquer l'heure fatale de la mort du dernier Roi. Elle n'a rempli encore sa funèbre tâche que pour le décès de Louis XIV et pour celui de Louis XV, qu'elle indique encore aujourd'hui, à deux heures moins un quart. Elle n'a pas changé de place depuis.
Les deux ailes latérales du château de Louis XIII présentent la singularité d'être composées de divers corps de logis débordant l'un sur l'autre, de manière que la cour qui les sépare va se rétrécissant à mesure qu'on avance, jusqu'au très-petit carré qui forme la cour de marbre. Cette bizarrerie a été imitée dans les nouvelles ailes des pavillons, et même surpassée dans celles des ministres reculées hors de toute proportion; ce qui rapetisse d'autant la façade principale, en la jetant dans un profond enfoncement, où elle est tout-à-fait effacée, éteinte pour ainsi dire par ses accessoires.
A ce mauvais effet, se joint encore celui de mettre en opposition des constructions en brique avec des constructions en pierre, le rouge foncé des premières avec la blancheur éclatante des dernières, l'architecture d'un règne avec celle d'un autre. C'est de ces oppositions que résulte le défaut d'harmonie que nous avons observé plus haut. Un autre grand inconvénient des nouvelles ailes? est que celle des ministres achève, du côté du nord, de masquer la chapelle du Roi, que ne masque déjà que trop l'aile des pavillons; si bien qu'on ne la voit pas, à proprement parler; on l'entrevoit seulement, à travers l'intervalle qui sépare les deux bâtimens, pourvu, toutefois, qu'on se plate vis-à-vis de cet intervalle. Dans toute autre position, on ne la voit que par le comble.
Contigus au château dont ils ont prolongé les ailes, les deux bâtimens des pavillons succèdent à ceux qu'avait fait construire Louis XIV, à la même place, mais dans un style bien plus modeste, afin de ne pas éclipser par trop d'éclat celui qu'il avait résolu de respecter. Ce système combattu du vivant même de Louis XIV, ayant cessé après lui, on n'a pas craint de substituer à ces deux ailes deux édifices somptueux, où l'architecte Gabriel a tâché de déployer toute la richesse de l'ordre corinthien, sans être parvenu à lui donner toute la grâce et la légèreté dont cet ordre est susceptible. Il est à noter que ce sont les seuls pavillons et les seules colonnes corinthiennes qu'offre, à l'extérieur, le château de Versailles.
Ces deux ailes attendent une nouvelle façade qui doit les réunir et cacher tout-à-fait, remplacer même en partie, si le plan de Gabriel achève de s'exécuter, le château de Louis XIII, dont on ne conservera...