Dans le tems que la Physique récompensoit si mal les soins d'un Sçavant empressé à pénétrer ses secrets, je continuois à faire mes observations tant sur l'électricité naturelle que sur l'artificielle. Je n'y étois pas plus encouragé par mes premiers succès & par le commerce de Mr. Franklin que par le vif intérêt qu'y prenoient plusieurs amis du premier ordre qui travailloient souvent avec moi; l'un de ceux-ci m'avoit prié de lui aider à former un cabinet électrique complet; je n'avois rien épargné pour lui donner satisfaction. Le premier fruit qu'il en retira, fut le succès de mon expérience du tonnerre artificiel sur une glace de 1200. pouces quarrés, dont il fut enchanté.
Cette glace est des plus parfaites & des plus minces, bien polie, en quarré long, étamée des deux côtés & affermie sur un fort cadre de bois. Sur le teint de sa surface antérieure, j'ai tracé tout autour une bordure d'environ trois pouces de largeur, & avec un cizeau de cuivre j'en ai enlevé l'étain, en observant d'arrondir les angles & de ne point laisser de bavures en pointes dans tout le circuit. En voilà toute la préparation.
L'expérience consiste à électriser cette glace ainsi préparée, en laissant tomber une petite chaîne du premier conducteur sur le milieu de sa surface antérieure. Si le tems est favorable & que l'on soit dans l'obscurité, après douze ou quinze tours de rouë on apperçoit sur les bords de l'étain quelques étincelles, qui augmentant peu à peu en nombre & en force, représentent assez bien un ciel tout enflammé, tel que celui qui précède les grands orages. En continuant & même en forçant l'électrisation, tout cela se termine par une violente explosion qui fait avec le plus brillant éclair un bruit aussi éclatant que celui du plus fort coup de fouet.
Après cette explosion, l'on trouve à l'endroit où elle s'est faite sur la glace une trace blanchâtre plus ou moins apparente assez ordinairement en zic-zac, qui traverse la bordure découverte depuis le bord de l'étain jusqu'au cadre sous lequel elle va se perdre. En passant le doigt ou l'ongle dessus on sent que la glace est dépolie & raboteuse en cet endroit, ce qui prouve évidemment que la matière électrique pénètre le verre sans le traverser.
Si, immédiatement après l'explosion on approchoit le nez de l'endroit où elle s'est faite, l'on y sentiroit une odeur de soufre très-frappante. Cette odeur est si volatile qu'elle s'exhale en peu de tems, & il ne faut que deux ou trois explosions pour en remplir toute la chambre, quelque grande qu'elle puisse être. Il n'y a personne qui ne reconnoisse à tous ces traits le plus redoutable des météores; c'est la raison pour laquelle on a donné à cette expérience le nom de tonnerre artificiel. Il est très-possible d'en tirer des effets aussi surprenans que ceux du tonnerre naturel.
C'est avec cette glace que j'ai percé d'un coup d'électricité jusqu'à cent soixante feüilles de papier fin; elle m'a aussi servi à enflammer la poudre à canon froide; mais je trouve plus commode l'usage des grands vases de verre bien armés.
Dans la première idée que M. Franklin s'étoit formée de la nature du tonnerre, il avoit supposé que les nuages orageux étoient électrisés positivement, & c'est sur cette hypothèse qu'il avoit établi sa première Théorie; dès qu'il a reconnu que l'électricité des nuages est négative bien plus souvent qu'elle n'est positive, il n'a pas hésité à changer d'opinion; loin d'être plus attaché à sa nouvelle conjecture qu'il ne l'avoit été à la première, il la donne pour ce qu'elle est & propose lui-même les objections qui peuvent l'embarrasser.
C'est avec la même franchise qu'il se rend aux découvertes d'autrui. On lui apprend que l'électricité du soufre paroît d'une nature différente de celle du verre; il se met sur le champ à répéter les expériences qui peuvent constater le fait, & convaincu par lui-même de la vérité, il en laisse toute la gloire à son émule.
Avec le secours des grands vases multipliés, M. Franklin est parvenu à aimanter des aiguilles, à en changer les pôles à volonté, & à démontrer par ces merveilles que la vertu magnétique n'est qu'un effet d'électricité. Peut-être la pierre d'aimant elle-même n'est-elle devenuë aimant que par un pareil effet de l'électricité naturelle. Quoi qu'il en soit, le magnétisme a été communiqué par les expériences faites à Paris, de même qu'il l'avoit été par celles de Philadelphie.
On s'attend bien que ces dernières découvertes feront reprendre la plume aux critiques de M. Franklin. Pourquoi auroient-elles plus de privilége que toutes les autres du même auteur? Dès que son premier ouvrage parut, il fut vivement attaqué; & comme l'on trouvoit peu de prise sur le fond, on n'épargna rien pour tourner en ridicule ceux qui en étoient les partisans. Cette guerre littéraire n'est point encore éteinte, & vraisemblablement ne finira pas sitôt, puisque le plus ardent de nos adversaires abandonnant sa première attaque est forcé de revenir sur ses pas, de changer de batterie & de recommencer sur nouveaux frais. Il n'en est encore qu'à l'examen des étincelles électriques. S'il suit l'ordre des expériences, quand il arrivera à ces dernières, elles ne seront plus nouvelles que pour lui.
PRÉFACE
Table des matières DE
L'ÉDITEUR ANGLOIS.
Table des matières I
l est à propos d'avertir le Lecteur que les observations & les expériences suivantes n'ont pas été faites dans le dessein d'être données au public. Elles avoient été communiquées en divers tems à quelques amis particuliers, & n'étoient destinées qu'à leur servir d'amusement, la plupart même se trouvent dans des lettres écrites sur différens sujets.
Mais ayant été luës à quelques personnes fort versées dans les recherches électriques, toutes ont jugé qu'elles contenoient tant de particuliarités curieuses & intéressantes, relativement à la matière en question, que ce seroit faire une espèce d'injustice au public, de les renfermer dans les bornes d'un petit cercle d'amis.
C'est pourquoi l'Éditeur avoit pris sur lui de faire imprimer ces extraits de lettres & autres pièces détachées dans l'état qu'elles lui étoient tombées entre les mains, sans avoir demandé à l'ingénieux auteur la permission d'en user de la sorte. Il avoit fait cette démarche avec d'autant moins de scrupule, qu'il appréhendoit que les engagemens de l'auteur dans d'autres affaires plus importantes ne lui laissassent pas le loisir de donner au public ses réflexions, & ses expériences sur l'électricité retouchées avec ce soin & cette précision dont il n'est pas moins jaloux que capable, comme il est facile de s'en convaincre par le traité que nous avons sous les yeux.
On ne l'instruisit de la liberté qu'on avoit prise, que lorsque les premières feüilles étoient sous la presse, & il n'eut que le tems d'envoyer quelques nouvelles remarques avec un petit nombre de corrections & d'augmentations, qui ont été placées à la fin de l'ouvrage, & que l'on peut consulter dans l'occasion.
Ces expériences sont presque toutes en propre à notre auteur; il les a conduites avec jugement, & les conséquences qu'il en déduit sont évidentes, & décisives, quoique proposées quelquefois sous les termes modestes d'hypothèses, & de conjectures.
En effet la scène qu'il ouvre à nos regards, nous surprend agréablement, tandis qu'il nous mène par un enchaînement de faits, & de réfléxions judicieuses à une cause probable des phénomènes les plus terribles & qui ont été expliqués jusqu'ici avec le moins de vraisemblance.
Il nous découvre une matière invisible, subtile, répanduë dans toute la nature en différentes proportions, qui avoit échappé à nos observations, & qui est incapable de nuire lorsque tous les corps auxquels elle est adhérente, en sont également chargés. Il prouve néanmoins que si par quelque moyen que ce soit, il s'en fait une distribution inégale, s'il y a accumulation sur une partie de l'espace, & qu'il y ait sur l'autre une moindre proportion, un vuide, un épuisement, à l'approche immédiate d'un corps capable de conduire la partie accumulée à l'espace altéré, cette matière devient peut-être l'agent le plus formidable, & le plus irrésistible qui soit dans l'univers. Les animaux en sont subitement frappés à mort: les corps impénétrables à la plus grande force que nous connoissions, en sont criblés, & les métaux fondus en un instant.
Les effets analogues de la foudre & de l'électricité ont conduit notre auteur à avancer quelques conjectures fort vraisemblables sur la cause du tonnerre, & à proposer en même tems quelques expériences raisonnées pour nous préserver de ses effets pernicieux & garantir les choses qui sont le plus exposées à en ressentir les atteintes: circonstance assurément très-importante pour le public & digne par conséquent de la plus sérieuse attention.
Il étoit passé en mode depuis quelque tems d'attribuer à l'électricité toutes les grandes & extraordinaires opérations de la nature; telles que la foudre & les tremblemens de terre; ce n'est pas (comme on pourroit se l'imaginer par la manière dont on raisonne sur ces événemens) que les auteurs de ces systèmes eussent découvert quelque connéxion entre la cause & l'effet, ou donné la raison de leur dépendance réciproque, mais seulement (à ce qu'il paroit) parce qu'ils ne connoissoient aucun autre agent dont la liaison avec les effets ne pût être positivement démontrée impossible.
Mais le lecteur...