AVANT-PROPOS
Table des matières Exposé sommaire des principaux événements de la vie du Bienheureux et des faveurs spirituelles qu'il a reçues depuis sa naissance, en 1506, jusqu'à la trente-sixième année de son âge.
O mon âme, bénis le Seigneur, et n'oublie pas tous les bienfaits que tu as reçus de lui: il rachète ta vie des mains de la mort; il te couronne de ses miséricordes et de sa clémence; il te remplit de saints désirs après qu'il t'a pardonné toutes tes iniquités et qu'il continue de te les pardonner chaque jour; enfin il guérit toutes tes infirmités, te donnant une ferme espérance que ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle.
Confesse toujours, ô mon âme, et garde-toi de jamais oublier les nombreux bienfaits que Notre-Seigneur Jésus-Christ t'a accordés et qu'il t'accorde encore à tous les moments par l'intercession de sa Mère bénie, notre Souveraine, de tous les saints et de toutes les saintes, ainsi que de tous ceux qui prient pour toi dans l'Église catholique.
Adore, ô mon âme, le Père céleste, l'honorant toujours, le servant de toutes tes forces, de toute ta sagesse et de toute ta volonté ; reconnais cet amour digne d'être à jamais béni, avec lequel il te soutient et te corrobore. Adore ton Rédempteur Jésus-Christ, notre divin Maître, qui, étant la voie, la vérité et la vie, par sa seule grâce t'enseigne et t'illumine. Adore la personne de ton glorificateur le Saint-Esprit, notre Paraclet, qui, par sa bénigne communication, dispose et règle ton corps, toutes tes facultés, et ton esprit, afin qu'il soit pur, droit et bon en toutes choses.
En l'année 1542, dans l'octave de la fête du corps de Notre-Seigneur, je ressentis un notable désir de faire dans la suite ce que j'avais omis de faire jusque-là par pure négligence et paresse: je veux dire de noter, pour m'en souvenir, certaines lumières spirituelles qu'il plairait au Seigneur de me donner, soit pour mon avancement dans les voies de l'oraison et de la contemplation, soit pour me communiquer une plus grande intelligence de ses vérités.
Mais, avant de parler de ce qui suit l'époque que je viens d'indiquer, il m'a semblé bon de noter brièvement certains points de ma vie passée, depuis ma naissance jusqu'à ce jour, les exposant comme ils se présentent maintenant à ma mémoire, et disant les sentiments que je me rappelle avoir éprouvés à ces époques, soit d'actions de grâces, ou de contrition, ou de compassion, ou de quelque autre mouvement intérieur venant du Saint-Esprit ou de l'avertissement de mon bon ange.
Le premier bienfait que j'ai remarqué avec action de grâces est l'insigne miséricorde par laquelle il plut à Notre-Seigneur, en l'année 1506, durant les fêtes de Pâques, de m'introduire dans ce monde, de m'accorder la grâce du saint baptême, et de me faire élever par des parents vertueux, catholiques et d'une sincère piété. Ils étaient cultivateurs; ils possédaient assez de biens temporels pour fournir aux frais nécessaires de mon éducation et m'aider ainsi à atteindre la fin pour laquelle j'ai été créé, je veux dire le salut de mon âme. Ils mirent un tel soin à m'élever dans la crainte du Seigneur, que, n'étant encore que petit enfant, j'avais conscience de mes actes; et ce qui est un signe d'une plus grande grâce prévenante de la part de Dieu, c'est que, vers l'âge de sept ans, je sentais de temps en temps des touches spéciales de dévotion; en sorte qu'à partir de cette époque le Seigneur se montra l'époux de mon âme et voulut la posséder à ce titre. Que ne m'a-t-il été donné de comprendre une telle faveur! Que n'ai-je su introduire cet époux dans mon âme, le suivre et ne jamais me séparer de lui!
Vers l'âge de dix ans, je sentis s'allumer en moi le désir d'étudier. Comme j'étais occupé de la garde des troupeaux et destiné au monde par mes parents, je ne pouvais goûter aucun repos, et je pleurais par le désir d'aller à l'école. Ainsi, mes parents, contre leur intention, se virent forcés de m'envoyer aux études ou aux écoles. Témoins du fruit et du progrès notable que je faisais dans les études, du développement de mon intelligence et de la fermeté de ma mémoire, ils ne purent s'empêcher de me laisser suivre la carrière des lettres. De son côté, le divin Maître permettait qu'il n'y eût rien à quoi j'eusse moins d'aptitude et de capacité qu'aux affaires du siècle.
J'étudiai sous un maître appelé Pierre Veillard. Il brillait par sa doctrine, non-seulement catholique, mais sainte, et par la sainteté d'une vie très-fervente. Tous les poëtes et tous les orateurs qu'il interprétait, il avait l'art de les rendre évangéliques; car il appliquait tout à l'édification de la jeunesse, la formant dans la crainte juste et chaste du Seigneur. Il fut enseveli à Korse, à trois lieues de Villaret, lieu de ma naissance, dans le Grand-Bornand, et dans l'évêché de Genève, qui alors était encore assez catholique.
La doctrine et les exemples de la vie d'un tel maître produisaient une merveilleuse impression sur tous ses disciples; nous faisions tous des progrès dans la crainte du Seigneur. Pour moi, vers l'âge de douze ans, je me sentis intérieurement porté à m'offrir au service de Dieu. Un jour, c'était pendant les vacances et tandis que j'exerçais l'office de berger, ce que je faisais encore parfois, étant arrivé dans un certain champ, je sentais la joie surabonder dans mon âme; et comme j'éprouvais un ardent désir de la pureté, je promis à Dieu de garder la chasteté pour l'éternité. O miséricorde de Dieu qui étiez avec moi et qui vouliez dès cette époque me prendre, que ne vous ai-je bien connue! O Esprit-Saint, pourquoi n'ai-je pas su, dès ce temps, me séparer de toutes choses, pour vous chercher et pour entrer dans votre école, puisque vous m'y invitiez et que vous me préveniez de pareilles faveurs! Vous vous êtes néanmoins emparé de moi; vous avez imprimé en moi le caractère indélébile de votre crainte; et si vous aviez permis que ce caractère me fût enlevé, ainsi que les autres dons gratuits, pourquoi ne m'eût-il pas été fait comme à Sodome et à Gomorrhe?
J'allai neuf ans à l'école, croissant en âge et en science, sans croître néanmoins jusqu'à la fin de cette époque dans la sagesse de la vertu et de la garde de mes yeux. J'ai donc sur ce point beaucoup à reconnaître, avec d'immenses actions de grâces, comme aussi dans la douleur et la contrition du cour, à cause des péchés que je commettais chaque jour contre mon Dieu, en commettant quelques-uns pour la première fois, et y persévérant ensuite. Et j'en aurais commis un nombre beaucoup plus grand, si la divine Bonté, tout en me retenant par le frein de sa crainte, n'eût permis dans mon âme un certain désir désordonné de la science et des lettres. Par cette impulsion, le Seigneur me conduisit hors de ma patrie, où je ne pouvais plus être tout entier à son service, ni le servir comme je le devais durant le reste de ma vie. Soyez éternellement béni, ô mon Dieu, du bienfait insigne qu'il vous plut de m'accorder alors, en voulant me retirer de ma chair si portée à la corruption, si contraire à l'esprit, et si infirme pour entrer dans la connaissance et le sentiment de votre majesté, comme pour comprendre les tristes excès dont elle est capable!
En l'année 1525, étant âgé de dix-neuf ans, je m'éloignai de ma patrie, et je vins à Paris. Souviens-toi, ô mon âme, des aiguillons spirituels par lesquels le Seigneur te stimulait déjà pour te retenir dans sa crainte, je veux dire de certains scrupules et remords de conscience par lesquels le démon commençait à te tourmenter, afin que de cette manière tu cherchasses ton Créateur si tu écoutais la voix de la sagesse. Sans ces scrupules et sans ces remords, Ignace n'eût peut-être pu te pénétrer, et toi tu n'aurais pas cherché secours auprès de lui, comme cela arriva dans la suite.
En 1529, âgé de vingt-trois ans, je reçus, le 10 janvier, le degré de bachelier ès arts, et après Pâques celui de licencié, sous le maître Jean Pegna, homme des plus distingués par son savoir.
Daigne la divine Bonté me donner grâce et mémoire pour reconnaître les bienfaits pour l'âme et pour le corps que je reçus d'elle, par tant de moyens divers, durant ces trois années et demie! Qu'elle soit à jamais bénie de m'avoir donné un tel maître, et une société telle que je la trouvai dans la chambre même de ce maître; je parle surtout ici de maître François Xavier, qui est de la Compagnie de Jésus.
Cette même année, Ignace de Loyola vint au collège de Sainte-Barbe, pour y habiter et partager la chambre où nous étions, se proposant de commencer avec nous le cours des arts ou la philosophie le jour de saint Remy suivant. C'était maître François Xavier, dont je viens de parler, qui devait occuper cette chaire. Bénie soit pour toute l'éternité la divine Providence, qui régla ainsi les choses pour mon bien et pour mon salut! Car, ayant été chargé par maître Xavier de donner des leçons de philosophie à ce saint homme que je viens de nommer, j'eus d'abord le bonheur de jouir de sa conversation extérieure, et ensuite de sa conversation intérieure. Comme nous vivions dans la même chambre, que nous avions même table et même bourse, il fut mon maître dans les choses spirituelles, me donnant le moyen de m'élever à la connaissance de la volonté divine et de ma propre volonté. Enfin l'union entre lui et moi devint si grande, que nous n'étions...