RAPPORT
SUR UN
VOYAGE BOTANIQUE
EN ALGÉRIE
DE PHILIPPEVILLE A BISKRA
ET DANS LES MONTS AURÈS
ENTREPRIS, EN 1853,
SOUS LE PATRONAGE DU MINISTÈRE DE LA GUERRE
Table des matières PAR
E. COSSON
D. M. P.
(Extrait des Annales des sciences naturelles, 4e série, tome IV.)
PARIS
LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON
PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE.
1856
Dans un premier voyage en Algérie, d'Oran au Chott El-Chergui, exécuté en 1852, nous avons pu étudier les caractères généraux de la végétation de la province de l'Ouest, et reconnaître les principales lois qui président à la distribution des végétaux dans l'Afrique française. Il était important pour nous de compléter ces notions, et, pour atteindre ce but, nous avons demandé à S. Exc. M. le Ministre de la Guerre de vouloir bien nous accorder son patronage pour un voyage d'exploration analogue dans la province de Constantine[1].
L'itinéraire que nous avons suivi, en 1853, de Philippeville à Biskra et de Biskra à Batna, où nous sommes revenu en parcourant une grande partie des monts Aurès, nous a permis non-seulement de compléter, par nos recherches sur des points situés à des latitudes analogues, les données de notre premier voyage, mais encore d'acquérir des notions positives sur la partie septentrionale de la région saharienne de la province de Constantine, et sur la région montagneuse supérieure qui n'avait pas encore été explorée. - La région littorale, de Philippeville à Constantine, était connue par les explorations de Bové, de MM. Choulette et de Marsilly, etc., et surtout par celles de M. Durieu de Maisonneuve, notre excellent ami et collaborateur; aussi cette partie du pays, où nous n'avons fait que quelques herborisations, ne nous a-t-elle offert qu'un très petit nombre d'espèces qui n'y eussent pas déjà été observées. - La région des hauts-plateaux, dont M. Durieu n'avait pu visiter qu'une bien faible partie aux environs de Sétif, n'était guère connue entre Constantine et El-Kantara, que par quelques espèces qu'y avait signalées M. le docteur Guyon; aussi elle a été pour nous l'objet de l'examen le plus attentif, et nous lui devons d'intéressantes découvertes. - La région saharienne, aux environs de Biskra, avait déjà été visitée par M. Guyon qui y avait indiqué plusieurs espèces d'un haut intérêt; mais c'est à M. P. Jamin, directeur du jardin d'acclimatation de Beni-Mora, et à M. Balansa, que le Ministère de la Guerre avait bien voulu nous adjoindre pour nos recherches, qu'est due surtout la connaissance de la végétation de cette partie du Sahara algérien, la seule qui ait été étudiée d'une manière à peu près complète au point de vue de ses productions végétales. M. Hénon, interprète militaire, a également concouru à l'exploration de cette région, et on lui doit, en outre, la découverte de plusieurs plantes remarquables, recueillies par lui dans l'expédition entreprise, en 1853, au sud de Biskra, et poussée jusqu'au voisinage de Tuggurt, sous le commandement de M. le général Desvaux. M. Reboud, dans l'expédition exécutée en 1854 et qui a assuré la soumission de Tuggurt, a fait également d'intéressantes découvertes, qui sont venues s'ajouter aux documents que nous possédions sur la région saharienne. Dans l'année 1854, un de nos amis, M. Kralik, a exploré, sous le patronage des autorités françaises, la partie méridionale de la régence de Tunis; les importants matériaux qu'il a réunis contribueront à compléter la statistique végétale de la région saharienne, en fournissant les plus utiles moyens de comparaison entre la végétation d'une contrée qui n'avait pas été explorée depuis Desfontaines, et celle des parties analogues du Sahara algérien, avec lesquelles elle a d'étroites affinités; dans ce même voyage, M. Kralik a retrouvé plusieurs des espèces de Desfontaines, qui, faute d'échantillons complets dans les herbiers, n'étaient qu'imparfaitement connues des botanistes. - Nos recherches dans les montagnes de l'Aurès, qui présentent les sommités les plus élevées de l'Algérie, nous ont permis de constater des faits de géographie botanique importants, et de recueillir un assez grand nombre d'espèces qui n'avaient pas encore été observées en Algérie, et dont plusieurs sont nouvelles pour la science. M. Balansa a contribué à l'étude de la flore des environs de Batna; il a séjourné à cette localité plus d'un mois après notre départ, et y a recueilli quelques espèces qui avaient échappé à nos recherches, et un assez grand nombre d'autres observées par nous dans un état imparfait de développement.
Nous devons à la bienveillance de M. le Ministre de la Guerre d'avoir pu, pour notre voyage, nous adjoindre d'habiles collaborateurs. Ainsi, outre M. Balansa qui nous avait précédé à Biskra, et qui, avec M. Jamin, nous a guidé dans l'exploration de cette riche localité, nous avions pour compagnon de voyage M. Henri de la Perraudière, ami dévoué et explorateur heureux, auquel nous devons plusieurs découvertes importantes. Ce fidèle compagnon de nos courses nous a secondé, dans toutes nos recherches, avec un zèle et une obligeance extrêmes, et a bien voulu nous suppléer à Biskra pour quelques excursions qu'une indisposition temporaire nous a empêché d'entreprendre. Un aide auquel nous avions en partie confié la préparation de nos collections, en nous déchargeant de nombreux travaux matériels, nous a mis à même de nous livrer plus exclusivement à nos travaux scientifiques[2]. C'est également par la haute protection que M. le Ministre de la Guerre a bien voulu nous accorder, que nous avons pu visiter avec une entière sécurité les montagnes de l'Aurès, bien que leur soumission fût toute récente; nous avons séjourné sur tous les points dont l'exploration présentait quelque intérêt, grâce aux moyens de transport et de campement qui avaient été libéralement mis à notre disposition. - La mission qui nous avait été confiée d'étudier les cultures de la contrée que nous avons parcourue[3] nous a donné la faculté de puiser aux sources officielles tous les renseignements qui pouvaient nous être utiles pour l'exécution de notre voyage. - Nous ne saurions exprimer trop vivement à M. le général d'Autemarre d'Ervillé, qui commandait alors la subdivision de Constantine, notre reconnaissance pour l'excellent accueil qu'il a bien voulu nous faire, et pour la sollicitude toute bienveillante avec laquelle il a interprété les instructions qu'il avait reçues du Ministère de la Guerre au sujet de notre voyage. - M. le colonel Desvaux, aujourd'hui général, commandant la subdivision de Batna, et si versé dans la connaissance du pays, non seulement nous a fait l'honneur de nous offrir une généreuse hospitalité, mais a bien voulu tracer lui même notre itinéraire, assurer tous nos moyens de campement, et surtout rendre nos recherches beaucoup plus faciles par les nombreux renseignements qu'il nous a donnés; c'est aussi l'obligeance de ce général distingué qui nous a procuré la connaissance de toutes les observations météorologiques recueillies à Batna, et l'avantage de pouvoir accompagner notre rapport de la carte de la partie la plus importante de notre voyage. M. le lieutenant Payen, aujourd'hui capitaine, attaché au bureau arabe de Batna, nous a fourni d'utiles documents, et a bien voulu se charger de tracer le calque d'après lequel la carte a été gravée. - Nous devons également de sincères remercîments à M. le chef de bataillon Collineau, aujourd'hui colonel, qui commandait alors le cercle de Biskra, et qui nous a accordé l'hospitalité la plus aimable. M. le capitaine Seroka, chef du bureau arabe de Biskra, a eu l'obligeance de nous communiquer le tableau officiel du nombre des Dattiers et des autres arbres fruitiers qui constituent les principales oasis des Ziban, ainsi que la liste des noms indigènes des diverses variétés de Dattiers qui y sont cultivées[4].
Partis de Marseille le 8 mai, nous sommes arrivés le 10 à Philippeville, au moment où la végétation présentait le développement le plus riche et le plus complet. Le jour même de notre arrivée, nous avons exploré les collines situées au nord-ouest de la ville, et spécialement celle où se trouvent les citernes romaines; le 11, nous avons visité une partie de la vallée de la Zéramna et du Safsaf, ainsi que les coteaux qui limitent au nord la vallée de la Zéramna; le 12, nous avons fait une nouvelle herborisation dans la vallée du Safsaf, dont nous avons descendu le cours jusqu'à son embouchure; le 13, dans la matinée, nous sommes arrivés à Constantine, par la diligence, et nous avons fait une première course à la base de la montagne de Sidi-Mecid; le 14, nous avons complété l'exploration de cette montagne, et visité les environs de la chute du Rummel; la journée du 15 a été consacrée à nos préparatifs de départ, à la rédaction de nos notes, et à quelques promenades aux environs immédiats de la ville; le 16, nous sommes partis à cheval de Constantine, nous avons fait une assez riche herborisation aux environs du caravansérail d'Aïn-Bey et dans la plaine de Mélila; le 17, nous avons herborisé dans les pâturages salés des environs de Mélila, et dans la plaine qui s'étend...