TROISIÈME PARTIE.
Table des matières LA THÈSE.
J'arrive maintenant à la thèse même de M. Gramidon: savoir, que le P. de Bérulle a faussé l'esprit et les Constitutions du Carmel. J'affirme qu'elle est insoutenable, parce que l'auteur des Notes a contre lui 1° l'autorité des Saints; 2° l'autorité des nonces; 3° l'autorité du Saint-Siége lui-même.
§ Ier.
Table des matières LES SAINTS.
Les Saints d'abord:
Je pourrais citer de nouveau saint François de Sales, que M. Gramidon du reste renvoie lestement à l'école . Je me borne à la Bienheureuse Marie de l'Incarnation et à la Mère Madeleine de Saint-Joseph, dont l'une a été déclarée Bienheureuse, l'autre Vénérable par le Saint-Siége; et je soutiens que toutes les accusations formulées par M. Gramidon contre M. de Bérulle retombent sur elles.
I
I. En ce qui concerne la Bienheureuse Marie de l'Incarnation, le fait est patent. Et c'est ici que le lecteur va se rendre compte facilement de la manière dont M. Gramidon écrit l'histoire.
«Du moment», dit-il, «que M. de Bérulle résolut
» d'établir des Carmélites en France, il paraît avoir conçu
» le plan de les soustraire au gouvernement des Carmes,
» de fonder un Carmel hors de la juridiction de l'Ordre,
» un Carmel national auquel il donnerait un esprit sé-
» paré.» - Il ressort de là que c'est M. de
Bérulle seul qui conçut le plan de soustraire les Carmélites de France au gouvernement de l'Ordre. Cette affirmation est absolument fausse. La question fut traitée et résolue dans l'assemblée qui se tint aux Chartreux, et où rien ne se fit sans le conseil de madame Acarie. Saint François de Sales, qui y assistait, dit positivement dans sa lettre à Clément VIII, que la question du gouvernement des Carmélites par les Pères Carmes y fut débattue, et qu'on vit bien qu'il ne fallait pas songer à avoir des Religieux. M. Gramidon, qui raconte l'assemblée des Chartreux , ne dit pas un mot de ces détails, afin de pouvoir faire peser plus librement tout le poids de son accusation sur la tête de M. de Bérulle seul.
Nous arrivons aux négociations en Espagne. Là surtout M. Gramidon se donne carrière. Il ne les connaît que par les lettres autographes de M. de Bérulle dont je donne des extraits, car, sauf deux fragments, il ne faut pas chercher dans le livre de M. Gramidon des pièces originales. Reprenant alors, avec plus de douceur dans la forme, mais avec moins de franchise, l'argumentation du P. Carayon, M. Gramidon, sans oser accuser M. de Bérulle d'être un fourbe et un faussaire, pose des principes d'où le lecteur, pour peu qu'il soit logique, tirera la conclusion désirée. L'accusation se reproduisant, je dois reproduire la défense.
Les lettres incriminées sont adressées à madame Acarie, qui, après avoir déterminé M. de Bérulle au voyage, suivait de près toute la négociation. Or, madame Acarie a-t-elle, oui ou non, cessé ses relations avec M. de Bérulle après avoir reçu ces lettres? A-t-elle, oui ou non, en 1608, c'est-à-dire quatre ans après cette correspondance, déclaré au R. P. Coton, de la Compagnie de Jésus, que M. de Bérulle était appelé de Dieu à fonder une société qui manquait à l'Église? A-t-elle continué, oui ou non, de le consulter et de lui écrire sur les secrets les plus intimes de son âme, comme en fait foi sa lettre de l'année 1615 . - M. Gramidon ne peut ignorer ce qu'il faut répondre. Donc, de deux choses l'une. Ou madame Acarie manquait, pour discerner ce qui est honnête de ce qui ne l'est pas, des lumières que possède M. Gramidon, et alors quel petit esprit! Ou bien, voyant que le procédé de M. de Bérulle était malhonnête, elle a néanmoins continué à chercher un conseil pour sa conscience, un directeur pour les Carmélites, un réformateur pour le clergé, en un homme qui, au jugement de M. Gramidon, trompa sciemment les Pères Carmes. Et alors, comment qualifier la faiblesse de cette femme admirable que l'Église a élevée sur les autels?
Ce n'est pas tout, M. Gramidon, qui cite des fragments des lettres de M. de Bérulle à madame Acarie, dans le but transparent de prouver combien il se montrait absolu et difficile dans le choix des Religieuses, se donne bien de garde de citer la lettre écrite par la Bienheureuse à M. de Bérulle alors qu'il était en Espagne, lettre que l'on peut lire dans Boucher. «Plus je vais
» en avant», dit-elle, «plus je pense combien il est im-
» portant que Dieu nous donne des âmes propres pour la
» conduite de cet édifice; nous l'attendons du choix qu'il
» vous fera la grâce de faire. Prenez-y garde, et ne dé-
» férez pas tant à l'avis d'autrui que vous n'appliquiez
» ce que Notre-Seigneur vous a prêté de lumières .»
Quoiqu'il soit fastidieux de se citer soi-même, je suis obligé de renvoyer encore le lecteur à mon premier volume, où il verra madame Acarie partageant toujours les idées de M. de Bérulle ou lui faisant partager les siennes relativement au gouvernement des Carmélites.
Bien plus, le Bref du 17 avril 1614, par lequel Paul V nommait le P. de Bérulle, alors Général de l'Oratoire, visiteur de tous les monastères de Carmélites érigés en France et qui pourraient y être érigés dans l'avenir; ce Bref qui modifiait d'une manière si importante le gouvernement du Carmel en France, fut demandé au Saint-Siége «avec l'advis de la Bienheureuse Sour Marie de
» l'Incarnation, avec laquelle mesme», nous dit M. de Marillac, «ie communiquay plusieurs fois les mémoires
» qui en avoient esté faits .»
Aussi, plus tard, lorsque, après avoir consulté encore le P. de Bérulle pour savoir de lui si elle prendrait le voile blanc ou le voile noir, et dans quel monastère elle entrerait , la Bienheureuse Marie de l'Incarnation fit profession, ce fut entre les mains du P. de Bérulle. Elle écrivit alors et signa de sa main l'acte suivant: «Je,
» Sour Marie de l'Incarnation, fais ma profession et pro-
» mets obéissance, chasteté et pauvreté à Dieu, Nostre-
» Seigneur, à la Bienheureuse Vierge Marie, et aux Révé-
» rends Pères supérieurs établis à présent par la bulle
» du feu Pape Clément VIII, et à leurs successeurs, selon
» la règle primitive du Mont-Carmel, qui est sans miti-
» gation, et ce jusqu'à la mort.» M. Gramidon cite cette pièce importante et pour la blâmer, sans doute parce qu'elle prouve que la Bienheureuse Marie de l'Incarnation reconnaissait la légitimité des supérieurs français et de leurs successeurs, et qu'elle lisait cela dans la bulle de Clément VIII, où M. Gramidon ne le trouve pas.
Il est vrai que trois ans après il y eut, entre la Bienheureuse Marie de l'Incarnation et le P. de Bérulle, une scène douloureuse. Je n'ai pas attendu M. Gramidon pour le dire, car mon deuxième volume était écrit lorsque le sien a paru. J'ai raconté le fait, et sans croire manquer à la vénération dont je suis rempli pour le P. de Bérulle, je me suis même permis de dire qu'assurément en cette circonstance, sa parole avait rendu infidèlement sa pensée . Pour M. Gramidon, il triomphe. Ce n'est pas assez d'avoir raconté l'entrevue de Pontoise, il en transcrit encore le récit aux Pièces justificatives . Quant aux causes de ces divergences entre la Bienheureuse et le P. de Bérulle, il enindique deux, d'après Boucher: l'adoration perpétuelle du Très-Saint Sacrement, que le P. de Bérulle voulait établir au grand couvent, de concert avec la Mère Madeleine de Saint-Joseph, et un quatrième vou. M. Boucher n'avait pas éclairci cette question, et M. Gramidon, qui le copie, ne nous apprend rien de nouveau. Le lecteur qui voudra voir ce que je dis et de la conférence de Pontoise et de la question du quatrième vou, saura désormais ce qu'il en faut penser.
Les Carmes d'alors, comme M. Gramidon aujourd'hui, voulurent tirer de cette affligeante entrevue des conséquences favorables à leurs prétentions, et ils répandirent le bruit que la Sour Marie de l'Incarnation avait exprimé le désir que les monastères des Carmélites de France se missent sous le gouvernement des Carmes. C'est pour répondre à ces faux bruits que M. de Marillac écrivit, le jour de Pâques 1621, une lettre dont j'ai trouvé une ancienne copie aux Archives nationales , et qui jette même un certain jour sur la conférence de Pontoise, Il est à croire, en effet, que cette prieure d'Amiens, qui fut depuis prieure de Bourges et montra une si étrange passion contre le P. de Bérulle, avait, par de faux rapports, indisposé la Bienheureuse contre le visiteur des Carmélites. Voici la lettre de M. de Marillac:
«Quant à ce qu'il y est fait mention de la Bien-
» heureuse Sour Marie de l'Incarnation et des pensées
» qu'elle auoit sur cette affaire, ie suis bien aise d'en
» parler clairement. Ceux qui ont connu l'humilité de
» cette âme, ne trouveront point estrange ny nouveau
» qu'estant sous une Prieure préoccupée de si violente
» aliénation (quoiqu'elle la couvrît dextrement), elle eust
» des pensées conformes aux inclinations et dispositions
» de sa Prieure. Car on l'a veue honorer ses Prieures
» comme la personne propre de Jésus-Christ. C'est pour-
» quoy elle auoit parfois des pensées là-dessus, mais
» elles luy estoient à tel tourment que Nostre-Seigneur
» a permis qu'elle en ait reçu beaucoup d'exercices, et
» encore que ces...