CHAPITRE II
Table des matières Un apologiste.
MONSEIGNEUR D'HULST A NOTRE-DAME
Avant tout, l'apologiste doit posséder à fond son sujet, je veux dire connaître à fond les diverses sciences dont l'apologétique relève, et aussi les difficultés de croire - éternelles ou actuelles - qu'il a à résoudre. Mais, s'il veut se faire lire ou écouter, s'il veut plaire aux hommes pour les convaincre et les persuader, il faut encore qu'on trouve en lui un écrivain ou un orateur d'un réel mérite. Qu'il se garde bien de mépriser, comme chose vaine et superflue, les qualités du style ou les dons de l'éloquence. L'expérience prouve que la «forme» est pour beaucoup dans le succès des apologistes.
Un exemple fera mieux comprendre notre pensée.
Mgr d'Hulst n'est pas encore oublié. Peut-être même est-il mieux compris et plus admiré que de son vivant. Ses Conférences, auxquelles on trouvait tant à redire, sont lues, méditées, et leur succès va grandissant chaque jour. Il compte, déjà, parmi nos meilleurs écrivains et apologistes. Ceux qui contestaient ses qualités oratoires proclament son mérite et avouent que nulle étude ne peut être plus utile, plus saine, ni plus fortifiante.
Pourquoi donc Mgr d'Hulst n'a-t-il pas réussi à se faire écouter à Notre-Dame, et pourquoi aime-t-on à le lire? Chacun le sait ou croit le savoir. Il est bon, pourtant, de préciser et de répondre nettement et sans parti pris d'aucune sorte. J'essaierai de le faire dans ces pages que je dédie à la mémoire de celui que j'ai eu le bonheur de connaître dans l'intimité et que je continue à beaucoup aimer. S'il m'arrive parfois d'y parler un peu de moi-même en traitant de Mgr d'Hulst, Conférencier de Notre-Dame, que le lecteur me le pardonne! Il le fallait, me semble-t-il, pour la parfaite intelligence et l'équitable appréciation de l'ouvre de l'éminent Recteur.
I
Table des matières Certes, s'il eût été un orateur véritable, Mgr d'Hulst se serait facilement créé et attaché un auditoire nombreux. A la tête de l'Institut catholique de Paris, connu dans le monde aristocratique dont il était l'un des plus glorieux représentants, il eût vu se presser, au pied de la chaire de Notre-Dame, et les jeunes gens des écoles et les savants, et l'élite du faubourg Saint-Germain. Membre du Parlement, il pouvait attirer dans la vieille Basilique bien des gens pour qui le titre de député est, si l'on peut dire, la meilleure recommandation. Enfin, le sujet qu'il avait choisi était des plus intéressants. Dédaignât-on, en effet, la révélation et la métaphysique, on doit vivre toutefois, faire usage de ses facultés, et dès lors répondre à la question qui se pose: Qu'est-ce que la vie, quel en est le prix, et comment faut-il l'employer? Que de grands et captivants problèmes il y avait à traiter! La psychologie, l'histoire pouvaient, devaient être invoquées autant que la philosophie et la théologie. On avait chance, tout en s'adressant à l'esprit par une science solide et rajeunie, de trouver le chemin des cours, de convaincre, de charmer et de toucher les âmes.
Or, - ses amis eux-mêmes le reconnaissent, - Mgr d'Hulst n'a pas eu à Notre-Dame le succès que son nom et sa réputation semblaient devoir lui assurer. On ne peut pas dire qu'il y ait échoué ; mais il est vrai qu'il n'y a que médiocrement réussi. Quelle en est la cause?
Ceux qui ne le connaissent pas ont bientôt fait de répondre qu'il était sec, froid, incapable de s'émouvoir et de vibrer. Que n'a-t-on écrit sur l'indifférence dédaigneuse de son âme! Pectus est quod disertos facit, c'est le cour qui fait le grand orateur; et Mgr d'Hulst, affirme-t-on, en était dépourvu. Erreur! il était passionné, enthousiaste même. Il fallait le voir et l'entendre discuter. Quelle conviction, quelle ardeur, quel feu! On s'est imaginé qu'il n'avait que du mépris pour les envolées oratoires de Bossuet, de Lacordaire. On ne pouvait se tromper davantage. Il avait pour Bossuet, surtout, l'admiration la plus sincère. Mgr d'Hulst aimait l'éloquence ample et chaude. Je me souviens de l'avoir entendu déclamer une page fameuse de M. Jaurès ; il la trouvait superbe d'allure et de franche venue. Serait-il impossible, d'ailleurs, d'extraire des Conférences de Notre-Dame plusieurs et même de nombreux passages d'une éloquence vraie et sincère? Il s'en trouve jusque dans ce Carême de 1891 qu'on a tant reproché à Mgr d'Hulst et d'après lequel ses ennemis ont jugé toutes ses Conférences. Peut-on, par exemple, opposer à l'école esthétique, qui ne voit dans la morale qu'un art supérieur, une réfutation plus équitable, plus judicieuse et plus émue ? Je me rappelle l'impression profonde que l'auditoire ressentit et que j'éprouvai moi-même. Et que de magnifiques pages de ce genre je pourrais indiquer: le vivant tableau de la crise morale d'aujourd'hui plus troublante et plus dangereuse que celle qui a précédé l'avènement du christianisme; l'analyse dramatique de la délibération morale et de la lutte entre les sens et la raison ; la protestation indignée d'un être qui ne veut pas mourir tout entier après avoir conçu l'éternelle vie ; la fière apostrophe de la Conférence sur le Respect du nom divin ; le contraste saisissant entre l'instabilité de la famille animale et la permanence de la famille humaine ; la vision des vertus que la guerre suscite et dont elle fait une nécessité sublime . Parmi cent autres également admirables, qu'on me permette seulement de citer cette page de libre hardiesse que presque tous les journaux ont reproduite:
Vous tremblez parce que le prolétaire, oublieux de ses devoirs d'époux et de père, n'est plus que le soldat d'une armée toujours mobilisée contre la paix sociale! Mais vous, détenteurs de la richesse et de la science, qu'avez-vous fait de la famille? Jeunes gens, où est en vous le respect de la vie? Époux, où est le respect du mariage? Parents, où est le respect de l'enfance? Et vous, poètes, romanciers, écrivains, guides de l'opinion, docteurs ou amuseurs du siècle, rentrez en vous-mêmes, interrogez votre ouvre; et si vous ne reculez pas d'épouvante, c'est que vous êtes plus aveugles encore et plus pervertis que je ne croyais! Vous avez bafoué la vertu, glorifié l'adultère, divinisé la passion. Vous avez enseigné à chaque page de vos livres que l'amour des sens donne tous les droits. Chacune de vos publications était comme un nouveau coup de bélier contre cette assise fondamentale de la société qui s'appelle la famille. Et vous vous étonnez, maintenant, que l'édifice craque et se lézarde! Je vous entends! Vous écriviez pour les heureux du siècle. Vous pensiez que l'homme de labeur n'entendrait pas votre voix. Pour lui, la résignation, le travail maigrement payé, les devoirs austères, sauvegarde de la sécurité générale. Aux parvenus, aux satisfaits, les grandes immunités et l'émancipation de la morale. Et vous voulez que Dieu se fasse le complice de pareils calculs et se ravale au rôle de garde-chiourme chargé de protéger la tranquillité de vos désordres? Ah! ne l'insultez pas par cette odieuse espérance! Hâtez-vous plutôt de réformer votre ouvre, de purifier votre vie, de restaurer chez vous le culte de la famille. Ou bien Dieu sifflera, dit le Prophète, et l'ennemi accourra du bout de l'horizon et la terre verra de grandes ruines..... A l'ouvre donc, Messieurs! La réforme urgente, celle qu'aucune autre ne saurait suppléer, celle qui donnera seule à toutes les autres leur efficacité, c'est la restauration des mours chrétiennes dans la famille. Naguère, un grand criminel, dont la main s'était armée pour tuer au hasard, et qui n'avait pas réussi à tuer, faisait, devant les juges qui allaient disposer de sa tête, l'apologie des doctrines anarchistes. Sa logique audacieuse les rattachait aux doctrines athées dont son siècle l'avait nourri. Il citait les noms de ses maîtres, et parmi ceux-là je relève le nom d'un savant auquel j'ai fait plus d'un emprunt dans ce discours. Certes, l'auteur de l'Évolution du Mariage protesterait bien haut contre cette filiation d'idées. Protestation sincère, je n'en veux pas douter, mais aussi protestation stérile! Quoi! l'on vient dire aux hommes: N'écoutez plus la religion, elle n'a rien à vous offrir que des fables; écoutez la science. La science vous apprend que l'homme est une brute perfectionnée, Dieu une hypothèse inutile, la morale un préjugé ; que la famille elle-même, avec ses deux supports, le mariage et la propriété, marque un stade provisoire dans l'incessante transformation des choses; que la loi du progrès, qui a fait prévaloir pour un temps ces institutions, permet d'en prévoir et d'en annoncer la chute. Et lorsqu'un malheureux, à qui la vie a été sévère, s'autorise de ces enseignements pour déclarer la société mal faite; lorsqu'il passe des paroles aux actes pour préparer dans la ruine de l'ordre présent l'avènement d'un ordre nouveau, les maîtres qui ont égaré sa pensée se laveront les mains de sa conduite? Ah! croyez-moi; laissons-les se dégager comme ils peuvent des sinistres conséquences que d'autres tirent de leurs leçons. Pour nous, c'est à ces leçons mêmes que nous nous en prendrons pour les confondre .
On a dit que Mgr d'Hulst était un excellent écrivain doublé d'un vigoureux dialecticien. C'est vrai; mais on voit...