Chapitre 2
Toucher sacré et guérison royale
La brume matinale s'accrochait aux vieilles pierres de l'abbaye de Westminster comme un linceul, mais à l'intérieur des murs sacrés, des centaines d'âmes désespérées se pressaient à la lueur ambrée d'innombrables bougies. La reine Anne, accablée par la goutte et le poids de l'attente royale, avançait lentement dans la nef, ses mains gantées tremblant non pas de nervosité, mais de la responsabilité divine qu'elle portait au bout des doigts. Ce jour marquerait la fin d'une époque - l'ultime représentation de la cérémonie médicale la plus mystique d'Angleterre, l'attouchement royal pour le Mal du Roi.
« Faites sortir les affligés », entonna l'archevêque de Canterbury, sa voix résonnant sous la voûte. La file s'étendait au-delà des portes de l'abbaye : des mères serrant leurs enfants au cou tuméfié, des jeunes hommes à la gorge couverte de plaies purulentes, des femmes âgées dont les ganglions lymphatiques avaient transformé leur cou en un paysage grotesque de souffrance. Chacune portait les signes indéniables de la scrofule, cette infection tuberculeuse des ganglions lymphatiques que les médecins médiévaux avaient baptisée le Mal du Roi, persuadés qu'elle ne pouvait être guérie que par le contact sacré d'un membre de la royauté sacrée.
Margaret Whitehall, fille d'un boulanger de Southwark, se tenait en tête de la file, sa fille Sarah, âgée de onze ans, serrée contre elle. Le cou de l'enfant était distendu par des glandes enflées de la taille d'oufs de poule, suintant un liquide clair qui tachait sa simple robe de coton. Pendant trois mois, Margaret avait économisé chaque centime, parcourant à pied les vingt-huit kilomètres qui la séparaient de Londres avec un espoir insensé. Les médecins locaux avaient déclaré Sarah irrécupérable - une phtisie des glandes, comme ils l'appelaient, une maladie débilitante qui dévorait les enfants de l'intérieur.
« Elle a le don de guérir », murmura Margaret à sa fille en regardant la reine Anne s'approcher. « Dieu coule entre ses doigts. Tu dois croire, ma fille. »
La cérémonie se déroula avec une précision chorégraphiée, perfectionnée au fil des siècles. Chaque patient s'agenouilla devant la Reine qui posa les mains sur leur chair malade, prononçant ces paroles anciennes : « Que Dieu Tout-Puissant, dans son infinie bonté, bénisse et sanctifie cette ouvre pour son honneur et sa gloire, et que sa vertu curative soit efficace pour la guérison de cette maladie. » Puis vint la remise du bijou en or, une petite médaille à l'effigie de saint Michel terrassant le diable, suspendue à un ruban de soie blanche.
Le Dr John Arbuthnot, médecin de la reine, observait la scène depuis l'ombre, avec un malaise grandissant. Homme de la nouvelle ère scientifique, formé aux mathématiques et à la philosophie naturelle, il avait en privé conseillé à Sa Majesté de ne pas perpétuer cette pratique médiévale. « Majesté », avait-il déclaré quelques semaines auparavant, « nous vivons à l'ère de la raison. La Royal Society démontre que la maladie obéit aux lois naturelles, et non à une intervention surnaturelle. » Mais la tradition s'avéra plus forte que la science, et le sens du devoir de la reine envers ses sujets malades éclipsa les conseils rationnels de son médecin.
Tandis que les mains de la reine Anne touchaient chaque cou enflé, chaque glande malade, la foule murmurait des prières en une douzaine de langues : anglais, français, gaélique irlandais, et même latin, murmurées par des marchands instruits. Les malades étaient venus de tout le royaume et d'au-delà, porteurs de lettres de recommandation de curés, témoignant du caractère démocratique de la guérison royale. Duchesse et servante pouvaient toutes deux recevoir ce toucher sacré, car la maladie ne connaissait pas de frontières sociales.
La reine elle-même accomplissait le rituel telle une femme en transe, le visage pâle d'épuisement. À cinquante-sept ans, Anne avait enterré dix-sept enfants, vu son corps la trahir par toutes sortes de maux, et sentait maintenant le poids de la foi de ses sujets peser sur ses épaules comme un fardeau physique. Chaque contact exigeait un morceau de son âme, chaque prière murmurée lui rappelait l'impossibilité de sa tâche.
« Votre Majesté se lasse », observa Lady Marlborough, la plus proche confidente de la Reine, positionnée discrètement à proximité.
« L'ouvre de Dieu ne connaît pas la lassitude », répondit Anne, mais sa voix portait la tension d'avoir accompli des miracles à une époque qui n'y croyait plus vraiment.
À midi, plus de trois cents âmes avaient reçu la touche royale. Certaines affirmaient un soulagement immédiat : le pouvoir de la foi et des cérémonies exerçait sa magie ancestrale sur des esprits désespérés. D'autres, comme la jeune Sarah Whitehall, ne présentaient aucun changement visible, leurs glandes enflées toujours aussi proéminentes, leur avenir aussi incertain qu'au matin de leur entrée à l'abbaye.
Alors que le dernier patient s'éloignait, la reine Anne s'affala sur son trône sculpté, ôtant ses gants de ses mains tremblantes, plus que par l'âge. Elle comprenait, peut-être mieux que quiconque, qu'elle venait de présider les funérailles de la magie royale. Le monde extérieur à ces murs antiques parlait de plus en plus de causes naturelles, de recherches scientifiques, de maladies obéissant à des schémas faciles à découvrir plutôt qu'à des caprices divins.
« Y aura-t-il une autre cérémonie, Votre Majesté ? » demanda l'archevêque, bien que son ton suggérait qu'il connaissait déjà la réponse.
La reine Anne contempla les grandes fenêtres où la lumière de l'après-midi filtrait à travers des vitres centenaires, illuminant des grains de poussière qui dansaient tels des esprits dans l'espace sacré. « L'ère des miracles », dit-elle doucement, « cède la place à l'ère de la médecine. Nos mains ne peuvent plus guérir ce que la science doit apprendre à guérir. »
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L'univers qui a façonné la cérémonie du dernier attouchement de la reine Anne remontait à plus d'un millénaire, à une époque où maladie et divinité s'entremêlaient aussi naturellement que le souffle et la prière. Dans l'esprit médiéval, la maladie n'était jamais un simple phénomène biologique ; elle représentait un réseau complexe de forces spirituelles, sociales et naturelles exigeant des réponses tout aussi complexes. La bactérie de la tuberculose, inconnue des médecins médiévaux, a néanmoins façonné leur compréhension de la médecine, de la société et de la souffrance humaine d'une manière qui allait perdurer à travers les siècles.
La théorie médicale médiévale reposait sur les fondements posés par les médecins grecs et romains de l'Antiquité, notamment sur le système élaboré de médecine humorale de Galien. Selon ce cadre, la santé humaine dépendait du bon équilibre de quatre humeurs corporelles : le sang, les mucosités, la bile jaune et la bile noire. Chaque humeur correspondait à des qualités spécifiques - chaud ou froid, humide ou sec - et tout déséquilibre entre elles provoquait des maladies. La tuberculose, communément appelée tuberculose, était un état de dépérissement associé à un excès de chaleur et de sécheresse qui consumait littéralement l'organisme de l'intérieur.
L'interprétation humorale de la consomption était parfaitement logique pour les observateurs médiévaux. Les patients dépérissaient visiblement, leur corps s'amincissait et s'échauffait sous l'effet de la fièvre, leur respiration devenait laborieuse à cause de l'accumulation de mucosités dans leurs poumons. Les crachats sanguinolents caractéristiques semblaient témoigner d'une altération du sang, tandis que le teint pâle du patient suggérait un dangereux déséquilibre des humeurs vitales. Le traitement se concentrait logiquement sur le rétablissement de l'équilibre humoral par des saignées, des purges, des modifications alimentaires et des remèdes à base de plantes destinés à rafraîchir et à humidifier le corps surchauffé.
Pourtant, la médecine humorale ne représentait qu'un aspect de la complexité de la médecine médiévale. L'interprétation religieuse fournissait des explications tout aussi convaincantes pour la maladie, en particulier pour les maladies chroniques comme la tuberculose, qui semblaient survenir sans cause apparente. Dans l'Europe chrétienne, la maladie signifiait souvent une punition divine pour le péché, une épreuve de foi ou une occasion de purification spirituelle par la souffrance. La tradition biblique de la guérison par la foi fournissait un fondement scripturaire aux guérisons miraculeuses, tandis que la conception de la maladie comme combat spirituel contre les forces du mal justifiait des cérémonies élaborées.
La tradition médicale islamique, quant à elle, avait largement dépassé ses homologues européennes à l'époque médiévale. S'appuyant sur les fondements grecs tout en intégrant des connaissances issues de sources persanes, indiennes et chinoises, les médecins islamiques ont développé des systèmes sophistiqués de classification et de traitement des maladies qui ne seraient pas égalés en Europe pendant des siècles. Le grand médecin Ibn Sina, connu en latin sous le nom d'Avicenne, a compilé le Canon de la médecine au début du XIe siècle, une encyclopédie médicale complète qui décrivait les maladies phtisiques avec une précision remarquable et proposait des traitements fondés sur une observation minutieuse plutôt que sur des cadres purement...