Kintsugi, Les Larmes Cachées

Chapitre 4

Les belles années

Les quatre derniers mois avaient été sensationnels après ce Noël réellement magique et inattendu. Fred s'épanouissait de plus en plus avec Marc qui était si protecteur envers elle. Il avait réussi à devenir gendarme, accomplissant ainsi son rêve de petit enfant. Il avait grandi dans une cité où il n'avait pu que constater les dégâts des différentes dérives sur les enfants livrés à eux-mêmes, copiant les délits plus ou moins graves de leurs aînés.

Après sa formation en internat, Marc était revenu habiter chez ses parents, il ne regrettait pas ce choix, car ils pouvaient de ce fait, avec Fred, se voir quand ils le souhaitaient. Même s'ils avaient cinq ans de différence, Marc était persuadé que Fred était la femme de sa vie. Il l'avait vue grandir, se transformer, s'affirmer, tout en gardant cette fraîcheur, cette candeur, pour devenir cette merveilleuse adolescente. Ils s'étaient trouvés tous les deux, se complétant à la perfection.

Gisèle et Fred avaient trouvé une seconde famille auprès des Simon, ils étaient devenus très amis, et se voyaient régulièrement, passant des moments très heureux, en toute simplicité. Gisèle était de plus en plus joyeuse, se sentant soutenue, acceptée par cette fantastique famille. Il lui arrivait régulièrement de faire du shopping en compagnie de Nicole, elles revenaient toujours ravies de leurs moments de complicité, ces journées se terminant régulièrement en repas improvisé le samedi soir.

Gisèle ne savait pas ce que contenait la lettre de Fred destinée à son père la veille de Noël, elle n'avait jamais osé aborder ce sujet avec sa fille. Joël n'avait pas donné de ses nouvelles depuis, jamais elle ne l'avait croisé, que ce soit dans leur quartier, ou même en centre-ville. Le courage dont Fred avait fait preuve l'avait impressionnée, elle réalisait comme sa fille avait grandi, sa petite fille très timide s'était transformée en une belle jeune femme ayant acquis une assurance parfois déconcertante. Fred pouvait se montrer très tenace lorsqu'un projet lui tenait à cour, elle argumentait tout en gardant sa sagesse et son calme inné, Gisèle l'enviait pour ce trait de caractère, elle qui n'avait jamais vraiment su s'imposer.

*

Depuis ce Noël exceptionnel, Gisèle avait retrouvé un peu d'espoir que sa vie et celle de sa fille puissent s'améliorer. Avoir des amis, pouvoir se reposer et compter sur des personnes fiables ne lui était pas arrivé depuis si longtemps. Bien sûr, ses parents étaient toujours présents pour elle, mais elle ne pouvait se confier à eux comme elle le faisait avec Nicole. Gisèle avait enfin pu parler ouvertement des difficultés qu'elle avait connues dans son couple, tous les mensonges que Joël lui avait dits, qu'elle avait crus naïvement.

Gisèle s'était longtemps imaginée que son couple n'avait pu tenir par sa faute. L'emprise de son exmari s'était avérée beaucoup plus forte qu'elle ne l'avait pensé, et puis, elle était d'une génération où une femme devait satisfaire les besoins de son mari, rester à la maison pour que le repas soit prêt à l'heure, que le ménage soit fait, que les pièces soient rangées et impeccables. Une femme devait également éduquer les enfants et leur apprendre à se tenir en public. Joël était un de ces hommes qui ne supportait pas que l'image idéale de sa famille puisse être écornée. Gisèle s'était malgré elle pliée aux exigences de Joël, exigences de plus en plus nombreuses au fil des années. Joël avait réussi à la faire douter quant à ses capacités de tenir sa maison et de le rendre heureux. La lettre que son ex-mari avait adressée à Fred lui avait provoqué un électrochoc. Elle avait enfin réalisé que cet homme n'avait fait que l'utiliser. Elle s'en voulait de s'être laissée manipuler de la sorte, d'avoir montré autant de faiblesse, d'avoir été si soumise.

Elle espérait que Fred ait un autre destin que le sien, le caractère de sa fille et le garçon qu'elle fréquentait lui donnaient bon espoir.

*

Gisèle avait réussi à mettre assez d'argent de côté pour faire une magnifique surprise à sa fille pour les vacances d'été. Depuis son divorce, cela avait été tout simplement impensable. Grâce à ses deux emplois, elle avait enfin pu rembourser toutes ses dettes, et depuis septembre dernier, elle économisait la même somme que ses remboursements. Elle n'en avait rien dit à sa fille, n'avait pas changé son rythme de vie, ne s'accordant que quelques extras pour ce Noël extraordinaire. Gisèle envisageait de garder ses deux emplois afin de payer les études de sa fille. Son ex-mari ne lui versait toujours pas la pension alimentaire, elle préférait d'ailleurs se débrouiller seule et ne rien devoir à cet homme pour qui elle avait dorénavant développé un profond dégoût.

Un soir, pendant les vacances de Pâques, Gisèle avait préparé un petit repas que Fred aimait particulièrement, du saumon en papillote, sauce crème citronnée, avec des tagliatelles.

« Oh, qu'est-ce qui se passe ? Du saumon ce soir ?

- Oui. Et j'ai une autre surprise à t'annoncer ! »

Gisèle souriait mystérieusement.

« Dis-moi ! Qu'est-ce que c'est ?

- Ça fait longtemps que nous ne sommes pas parties en vacances, n'est-ce pas ?

- Oui, c'est vrai.

- Cet été, nous allons pouvoir partir !!

- Ah bon ??? Tu as décidé où ????

- Oui.. Alors, ce ne sera pas aussi longtemps que quand tu étais petite, ce sera une semaine.

- Oh, c'est déjà bien une semaine, c'est super même ! Et on ira où, alors ?

- Dans un mobile-home.

- Wouah !!! Cool !! Où ça ?

- A Meneham !!!! »

Fred en eut le souffle coupé, les larmes commencèrent à faire briller ses yeux. Elle se leva de table brusquement et alla serrer sa mère dans ses bras.

« Oh !!!! Merci, merci, merci !!! Merci maman !!

- Pas si fort, tu m'étrangles !

- Pardon !!! C'est vrai ? On va retourner à Meneham ?

- Oui !! Le mobile-home est réservé. »

Fred se mit à danser, tourner, tout en continuant de remercier sa mère.

« Allez, viens manger tant que c'est encore chaud.

- C'est génial, je n'en reviens pas !

- Je voulais marquer le coup, fêter nos prochaines vacances avec ce repas.

- Tu es géniale maman, merci, merci !! »

Fred l'embrassa et vint se rasseoir pour déguster ce fameux repas. Fred continuait de constater tous les efforts que sa mère faisait pour lui apporter une vie la plus agréable possible, elle se rendait aussi compte du changement depuis Noël, sa mère était plus apaisée, plus gaie. Elle savait que les parents de Marc en étaient responsables, la vie sociale de Gisèle commençait enfin à s'éclaircir, les années noires étaient derrière elles dorénavant.

« Dis, après manger, est-ce que je pourrai aller le dire à Marc ?

- Oui, mais tu sais que nous y allons seulement nous deux.

- Oui, oui, je n'ai que seize ans, j'ai bien compris, t'inquiète. Et puis je suis contente qu'on puisse partir toutes les deux !! »

*

Cet été fut merveilleux pour Fred et sa mère. A peine arrivées sur la petite route menant au camping de Meneham, Fred sentit son cour se serrer, elle reconnaissait les moindres recoins, les maisons de pierre, le lavoir sur la droite dans lequel elle avait aidé sa mère à faire quelques petites lessives lorsqu'elle n'avait que quatre ou cinq ans, la route sur la gauche menant à Theven, et enfin, au bout, juste avant les dunes, l'entrée du camping. Dans son enfance, les mobile-homes n'existaient pas, le camping accueillait seulement des tentes ou des caravanes.

Après avoir récupéré les...