2. Retour de Bordeaux
- Ah, laissez-moi !
Je me cache le visage sous la couette.
- Tu es malade ! Hein, mon petit papa ! s'exclame Annette.
- Voilà, malade... Oui, malade...
Évidemment, elle soulève la couette pour observer mon visage.
- Mais, tu pleures !
Même pas le droit de pleurer. Chagrin d'amour. Peu de chose ! Ça va passer. Faut simplement me laisser tranquille dans mon coin. Et puis, pleurer soulage. Ah, quelle fille ! Malade, je verse des larmes. Tout le monde verse des larmes en secret. Avec les filles, surtout Annette, pas de droit d'exprimer ma peine. Elles me parlent d'intimité... J'aimerais bénéficier, moi-aussi, d'intimité.
- Tu sais, que tu es casse-pieds !
- Pourquoi tu pleures ?
- J'ai rencontré une femme extraordinaire. Alors, je pleure. Voilà, tu es contente !
Obligé de tout raconter. Vraiment, aucune intimité. Et naturellement, la voilà partie chercher ses sours. L'impression de l'entendre Venez vite, papa verse des larmes ! Pourquoi ? Vous demandez pourquoi ? Parce qu'il a rencontré une femme extraordinaire ! Alors, elles vont accourir pour observer leur phénomène de père. Un tel énergumène ne se rencontre pas tous les jours. Pourtant, il n'y a pas de mal à verser des larmes ! Les chagrins d'amour font partis de la vie.
Les voilà réunies toutes les trois au bout de mon lit, inquiètes...
- Tu n'es pas malade ?
- Mais, non... Simplement, j'ai rencontré une femme et...
- Follement amoureux !
- C'est vrai... Alors, je verse quelques larmes. Ne vous inquiétez pas. Ça va passer. D'ailleurs, plus tard, vous connaîtrez vous-aussi de tels chagrins. Et puis, j'ai mal à la tête...
- Tu veux qu'on te prépare une poche avec des glaçons !
- Je veux bien. Oui, ça me soulagerait...
Naturellement, elles s'empressent de préparer la poche. Bientôt, me voilà assis dans mon lit avec la poche de glaçons sur le front... Je dois avoir bonne mine ! D'ailleurs, elles éclatent de rire. Ça, je me donne en spectacle ! En réalité, je n'y peux rien. Je souffre réellement.
- Et si tu nous racontais... Ça te soulagerait... Alors, qui est-elle ? Et d'abord, la poche de glaçons, ça soulage !
- Vraiment du bien, oui. Qui est-elle ? Une amie de Géraldine.
- Et comment l'as-tu rencontrée ? En allant à Bordeaux ?
- Oui... Ah, excusez-moi, ces larmes !
Elles coulent le long de mes joues. La maladie d'amour... Vraiment inattendue. Et toujours, grâce à Géraldine. Quand je vais raconter ça au psy... Il va penser Une de plus ! Et dire qu'avant, j'étais... Au point de songer à m'inscrire dans une agence matrimoniale. De plus, uniquement des femmes que je n'aurais jamais songé à séduire, même dans mes rêves les plus fous.
Elles me tombent du ciel, comme par enchantement. Difficile de comprendre pourquoi ! Oui, depuis ma rencontre de Géraldine, ma bonne étoile !
- Explique-nous... D'ailleurs, ton voyage à Bordeaux. Que s'est-il passé ?
- Géraldine et son ami Dominique m'attendaient à la gare. Très bien accueilli.
- Comment est-il ?
- Le cheveu noir, très long, des yeux en amendes... Très bien... Aucune jalousie. Il comprend la situation et accepte les liens qui nous unissent, Géraldine et moi. D'ailleurs, il se faisait une joie, lui-aussi, de me recevoir. Aucune ambiguïté... Lentement, il se remet... Sa paralysie disparaît, peu à peu. Il progresse, jour après jour. Pendant que nous étions chez Élisabeth, il s'est occupé de sa machine à coudre. Elle venait de tomber en panne.
- Qui est-ce, Élisabeth ?
- La jeune femme dont je parle.
Les voilà assises sur le lit. Évidemment, elles veulent comprendre...
- Ta tête, ça va mieux ?
- Beaucoup mieux !
Inquiètes, tout en éclatant de rire. Je dois avoir l'air malin avec la poche sur la tête, à verser des larmes. Et naturellement, arrive la question :
- Comment l'as-tu rencontrée ?
- Une amie de Dominique... Ou de Géraldine, je ne sais plus !
- Attend, qui est Dominique ?
- L'ami de Géraldine...
- Donc, tu vas avec Géraldine et son ami, Dominique, chez Élisabeth... Et là, le coup de foudre !
- Sourire éclatant. D'une gentillesse...
- Tu es tombé amoureux.
- Amour impossible, hélas...
- Pourquoi, impossible ?
- Elle habite trop loin. Quand je regarde la carte... Impossible, c'est le mot. Et puis, jolie comme elle est, elle trouvera quelqu'un sur place.
- En attendant, tu souffres.
Ce n'est rien de le dire ! Je me tiens les yeux fermés, un long moment. Et toujours la même question me revient. Pourquoi ne pas m'avoir prévenu ? Pourquoi ne pas n'avoir dit Vous verrez, Élisabeth... Une fille formidable ! Rien... Peut-être n'est-elle merveilleuse que pour moi ! Pourtant, ne m'a-t-elle pas soufflée à l'oreille Mon mari ne s'est pas rendu compte qu'il avait une femme merveilleuse ! Oui, merveilleuse, vraiment le terme convient. De plus, elle s'intéresse à moi. Moment d'égarement ? Sans doute ! Faut pas se leurrer, je ne mérite pas une femme merveilleuse à mon bras. Et pourtant, d'où le problème, je reste sous le charme...
- Papa, tu penses à quoi ?
- J'ai rencontré une femme merveilleuse. Difficile de m'en remettre. Bien sûr, trop belle, trop intelligente pour moi.
- C'est dur... Ça fait souffrir, l'amour. Hein, papa !
- Ah oui, alors ! Et en même temps, c'est tellement bon.
Évidemment, il y a Maria, Claudia, et toutes les autres... Différent d'Élisabeth. Il faudra que j'en parle au psy. Nul doute, il s'est passé quelque chose. L'impression de rêver. Et pourtant, je dois reprendre le dessus. Sûr, qu'elle n'est pas pour moi ! Inutile de persister, d'y croire. Ça va passer... Le temps de me reprendre. Faudra plusieurs jours. Très secoué...
- Tu comptes la revoir ?
- Je ne sais pas. La revoir. Si je retourne voir Géraldine et son ami à Bordeaux, je peux la revoir. Elle habite à Castelnau-de-Médoc (Saint-Émilion). Est-ce raisonnable ! Non, il faut rester à l'écart. Sinon, grosses souffrances en perspectives.
- Que ressens-tu, finalement ?
- L'impression de l'apprécier à sa juste valeur. Les autres ne la comprennent pas, ne la remarquent pas, ne savent pas la regarder. Oui, le coup de foudre !
Très vrai... Son contact me donne des couleurs. Telle une lessive que vente la pub : elle ravive les couleurs. J'étais gris, terne, me voilà coloré. J'allais ajouter tel un perroquet ! L'impression depuis que tous me regardent et s'expriment sur le sujet Oh, regarde le monsieur comme il est beau ! Réponse C'est un clown, ma chérie ! Personne ne voit le vrai visage d'un clown. Souvent quelqu'un de gris, de terne, sans couleur. Il enfile son costume, et tout le monde applaudit dès qu'il entre en piste. Pourquoi ? Parce qu'il raconte des bêtises. Les gens aiment les bêtises. Les gens aiment rire.
Bien sûr, Géraldine, Maria... Mais aucune ne tient pareil discours. Différente, surtout brillante... Obligé de la complimenter. Difficile pourtant, de lui dire Vous savez, je vous trouve différente des autres femmes. Vous êtes tout ce que j'aime. La crainte de commettre une maladresse. Les hommes et les sentiments... Une femme s'en sort toujours mieux. Elle parle plus librement... Alors, péniblement, maladroitement on se lance malgré soi. En réalité, on ferait mieux de se taire.
- Et que vas-tu faire ?
- Rien... Souffrir... Oh, là là !
- Tu veux qu'on te cherche encore des...